Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux.
Paix et Salut soient accordés à notre Prophète Sidna
Mohammad,
à Sa Famille et à tous Ses Compagnons.
Conférence Religieuse
Animé par :
Le professeur Abbès Al Jirari
Mercredi 11 Ramadan 1419
30 Décembre 1998
Sur le thème :
La culture du dialogue
dans le Coran
A partir des paroles où le Très-Haut
dit :
«Rappelle-toi enfin quand Abraham demanda au
Seigneur comment les morts ressuscitent à son Appel : «Auras-tu des doutes
à ce sujet ?» dit le Seigneur – «Que non pas ! fit Abraham, mais je
veux en avoir le cœur net» - «Prends quatre oiseaux que tu couperas en
morceaux ; répartis-en ensuite les membres sur quatre monts distincts,
puis appelle-les : Ils accourront vers toi en toute hâte. Apprends que
Dieu est puissant et sage» (La Génisse II, 260)
La culture du dialogue dans le Coran
Je m’en remets à Dieu
contre Satan le lapidé. Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux ;
louange à Dieu, Maître des mondes, que la Prière et le Salut soient sur le
Prophète Mohammad, Sa Famille et tous Ses Compagnons «Seigneur fais que mon
cœur s’ouvre à Ta Lumière, fais que ma mission me soit plus aisée à remplir et
délie ma langue de tout embarras», fais dire le Coran à Moïse. Dieu, rends
ferme en mon âme la justice et la sincérité, rends-moi accessible tout
hermétisme et éclaire-moi d’une lueur de Ta Science ; tu sais alors que je
ne sais rien et Tu détiens tout secret.
Majesté, Emir des Croyants,
Que peut bien dire un
élève devant son professeur ou un disciple aspirant devant son maître
spirituel ? Quelle position adopterait le chercheur en matière des
connaissances de l’Islam ou celle de celui qui étudie la culture et la
civilisation musulmane, alors qu’il se trouve face justement à celui dont
l’esprit unique les a raffermies sur les fondements des sciences islamiques.
Tel est l’état où je me trouve chaque fois que Votre Majesté me fait l’honneur
de prendre place dans cette chaire que vous avez instaurée pour cet honorable
cénacle en tant que tribune et phare de la culture et de la science et que lieu
où sont étudiés et médités les problèmes de l’Islam et des Musulmans. Je suis
aujourd’hui, ou plutôt à ce moment même, d’autant plus conscient que cet état
où je me trouve que Vous m’avez offert l’occasion de parler de la culture du
dialogue telle le Coran l’a fondée, car Vous constituez justement le modèle, le
maître et la parangon même du dialogue auquel Vous avez toujours appelé et
auquel Vous avez toujours incité.
Avec Votre permission,
Majesté, je vais aborder ce thème à partir du verset objet de cette conférence
en me fiant à Votre indulgence habituelle quant aux erreurs que je pourrais
commettre.
J’ai divisé ma conférence
en trois parties :
-
Dans la première partie, je parlerai du verset dans le contexte du
chapitre d’où il est tiré tout en développant ses significations syntaxiques et
sémantiques.
-
Dans la deuxième partie, elle, concernera la notion du dialogue.
-
La troisième partie, elle, concernera la notion du dialogue.
Dieu dit dans son Livre
Saint :
«Rappelle-toi enfin quand Abraham demanda au
Seigneur comment les morts ressuscitent à son Appel : «Auras-tu des doutes
à ce sujet ?» dit le Seigneur – «Que non pas ! fit Abraham, mais je
veux en avoir le cœur net» - «Prends quatre oiseaux que tu couperas en
morceaux ; répartis-en ensuite les membres sur quatre monts distincts,
puis appelle-les : Ils accourront vers toi en toute hâte. Apprends que
Dieu est puissant et sage» .
Ce
verset, Majesté, est le 260ème
de la sourate «La Génisse» un long chapitre qui, comme Vous le savez,
comporte 285 versets selon le recensement de Médine, 286 selon celui de Koufa
ou 287 selon celui de Basra. Ce chapitre contient dans le Livre Sacré 5
sections (Ahzab) moins le 1/8 qui ouvre le chapitre «La Famille de ‘Imrane».
Notre chapitre est une révélation médinoise sauf le verset où Dieu dit : «Redoutez
enfin le jour où vous aurez à comparaître devant Dieu» qui, bien qu’il ait
été révélé au mont «Minan» pendant le pèlerinage d’adieu accompli par le Prophète,
peut être néanmoins considéré comme médinois, le verset ayant été révélé après
l’exode à Médine.
Le
chapitre a pour titre «La Génisse» parce que Dieu rappelle à son Prophète
Mohammad le miracle qui s’est accompli pour Moïse avec le peuple d’Israël à
cause du meurtre qui a eu lieu sans qu’on sache qui l’avais commis. Dieu révéla
alors à Moïse qu’une vache soit égorgée et qu’on en jette un morceau sur le
corps du mort qui ressuscitera alors et révélera le nom de son meurtrier.
Par
ailleurs, ce chapitre comporte plusieurs autres récits et de nombreuses normes
législatives. Ainsi, y sont narrées la Genèse, ainsi que l’histoire d’Adam où
Dieu y parle des croyants, des associonnistes et des hypocrites ; ce qui
fait dire à Ibn al Arabi : «Le chapitre de "La Génisse" comporte
mille prescriptions et mille interdictions, mille normes et mille fait».
L’importance du chapitre est telle que le Prophète (P.S) exhortait à sa lecture
et à la méditation de ses significations au point où il disait : «Toute
chose a un point culminant, celui du Coran est bien la sourate de «La
Génisse» ; ainsi que : «S’en saisir est une grâce, et s’en dessaisir
est une détresse». Aussi, les Compagnons, que Dieu les bénisse tous,
s’empressaient-ils avec fierté pour l’apprendre et en expliquer les nombreuses
significations.
Parfois
même, de grands poètes de l’époque, comme Labid, un des poètes dont
s’enorgueillissaient les Arabes en accordant leurs poèmes au mur du temple de
la Kaâba, durent abandonner la poésie après audition de cette sourate. A ce
poète, le Calife ‘Omar avait demandé de lui réciter certains de ses vers de
poésie, mais il répondit : «Par Dieu ! Je n’ai plus composé aucun
vers après que Dieu a voulu que j’apprenne "La Génisse"».
Ajoutons
néanmoins que même si c’est la 87ème sourate dans l’ordre de la
Révélation, entre «La Famille de ‘Imrane» et «Les Fraudeurs», elle est placée
dans le Coran à la deuxième place après «La Préliminaire».
Voilà
pour le chapitre. Qu’en est-il du verset ? «Et quand Abraham dit … (*)» [Wa] (et) employé, généralement pour la reprise ou la liaison,
coordonne ce verset à celui d’avant : «… Ce voyageur qui, passant près
d’une ville …». [Idh] = (quand) cette copule peut exprimer soit
l’instantanéité, soit une explication, soit une circonstance. Dans notre
verset, elle introduit la circonstancielle d’une principale elliptique, c’est
d’ailleurs le cas de tous les versets dans cette narration, qui commencent de
la même manière.
[Ibrahim] :
(Abraham), tous ici nous savons qu’il est le père des Prophètes et qu’il est le
compagnon de Dieu (Khalil) ; c’est, d’après les historiens, Abraham fils
de Tarih ou Tarikh. Pour le Coran, c’est le fils d’Azar comme en témoigne le
verset : «Abraham dit alors à son père Azar», il en est de même
pour le Prophète (P.S) qui dit : «Dieu, le Jour du jugement dernier,
ressuscitera Azar pour qu’il rencontre son fils Abraham alors que le père aura
le visage couvert de poussière et de boue». Néanmoins, pour les exégèses, Azar
n’est qu’un surnom caractérisant, car il veut dire en langue cananéenne :
Celui qui se trompe.
Abraham,
que Dieu le bénisse, est originaire de Babylone en terre d’Iraq, puis il a
rejoint la cité d’Ur sur l’Euphrate et de là, la Palestine, puis l’Egypte où il
a épousé Sara qu’avait accompagnée son esclave Agar. D’Egypte, il a rejoint le Hijaz
où il construit le temple de Kaâba.
Ce
Prophète a été mis à l’épreuve à deux reprises. Une première fois lorsqu’il
détruisit les idoles et que son peuple païen l’avait jeté au feu ; mais le
Tout Puissant
_____________________________
(*) Nous maintenons une traduction littérale
qui nous permet de retrouver les éléments étudiés syntaxiquement ou
sémantiquement.
l’en délivra, d’où le surnom «Khalil» (Le
Compagnon de Dieu). Une deuxième fois, lorsqu’il lui fut demandé d’égorger son
fils et ce qu’il advint comme événement bien connus de cette histoire.
Rappelons
d’autre part que pour le Coran et, d’un point de vue historique, Abraham est un
«Hanif», c’est-à-dire appartenant à l’Islam premier et originel ; il était
donc Musulman. Ce verset est une partie d’un dialogue entre lui et Dieu.
Abraham
ici demande à Dieu de lui donner à voir une vision, une image visuelle.
[Comment
tu ressuscites les morts] : (Kayfa = comment) s’emploie en arabe soit pour
nier ou s’enquérir, soit aussi pour s’exclamer. Ici, elle exprime la manière et
introduit un deuxième complément du verbe montrer. Abraham donc ne s’inquiète
par de la résurrection des morts, mais bien de la manière dont elle s’opère.
[Il
dit : Est-ce que tu n’a pas encore cru ?] : Le [a] de awalam
tamin = le signe vocalique (hamza) est un adverbe interrogatif déterminatif
d’un état, requièrent affirmation. Nous rencontrons cette forme dans plusieurs
versets coraniques comme : «Est-ce que Nous n’avons pas purifié ta
poitrine ?», ainsi que dans la poésie comme lorsque le poète Jarir
dit :
«N’êtes-vous
pas les meilleurs cavaliers
Et
les plus généreux parmi les hommes ?»
Cet
état déterminé par la «hamza» est néanmoins dénoté par la copule [Wa]
elliptique du verbe «Montre », en d’autres termes : [Est-ce que je
vais te montrer, alors que tu ne crois pas ?]. Certains exégètes ont
plutôt opté pour [… alors que tu crois], d’autres par contre expliquent
ainsi : [Ta foi ne te suffit-elle pas ?]. Cependant, un propos du
Prophète (P.S) lève l’ambiguïté en niant toute attitude de doute chez le
Prophète Abraham puisqu’il y est dit : «Nous sommes plus enclin à douter
qu’Abraham», en d’autres termes, si le doute devait gagner Abraham, le Prophète
(P.S) s’en trouve plus proche et puisque celui-ci n’a point douté. Abraham n’a
forcément jamais eu cette attitude. En effet, Abraham ne doute nullement de
Dieu et sa foi est toujours restée ferme, mais il aspirait par sa demande à
tout autre chose.
[Il
dit : «si»] Bala = (si) et non pas oui qui, lui, admet aussi bien une
réponse affirmative que négative.
[Si,
mais pour me tranquilliser] (Mais) introduit la justification apportée par
Abraham ; il veut se tranquilliser et que son cœur soit apaisé et
réconforté par la certitude. Telle est la quête d’Abraham : un surplus de
conviction. Autrement dit, sa foi n’a point fléchi.
Remarquons,
Majesté, que le verbe introducteur du discours direct se répète dans ce verset
quatre fois sans précision du sujet, ni incise. C’est qu’en effet le sujet est
évident dans ce dialogue : Dieu dit : Abraham dit et ainsi de suite …
[Il
dit : Alors prends] l’action ici est matérielle et se fait par
l’utilisation des sens, elle apporte sa réponse à [montre-moi] qui, elle, est
de visu donc tout à fait oculaire.
[Alors
prends quatre des oiseaux] «Oiseaux» vue la forme grammaticale admet le
singulier et le pluriel et les deux genres masculin ou féminin. Ici néanmoins,
il est employé au masculin parce que l’adjectif numéral (Arb’a = quatre) est
grammaticalement au féminin ; le nom, inversement aurait été au féminin si
l’adjectif numéral l’introduisant avait été au masculin.
[Prends
4 oiseaux et coupe-les] le verbe [saha] veut dire incliner ou changer de
direction et a aussi le sens de couper. Chacune de ses deux significations se
répercute sur le sens du verset comme nous le verrons ci-après. [Min = des] a
été utilisé en tant que partitif pour exprimer la partie d’un ensemble comme si
Dieu avait dit : prends n’importe quelle espèce d’oiseaux et non pas un
genre déterminé.
[Puis
répartis sur chaque direction une des parties]. Nous avons ici quatre
directions indiquant les 4 points cardinaux sans préférence aucune.
Pour
[Juz’ = partie] la plupart des lecteurs du Coran préconisent la lecture
(Jus’an) mais certains lisent [Juzu’an] et [Juzan] avec ellipse de la «hamza».
[Puis appelle-les : ils accourront à la hâte].
[Sa’yan
= hâte] est un état. Certains exégètes commentent que c’est l’état d’Abraham.
D’autres y croient l’état des parties de l’oiseau.
En
réalité, et pour que le verset véhicule le sens investi en lui, il faudrait en
inférer que ce sont des parties d’oiseaux découpés en morceaux qu’Abraham
interpelle et qui sont ressuscitées
entier. Car au fond, la morale du verset c’est le pouvoir divin de la résurrection.
[Apprends
que Dieu est puissant et sage] rappelle donc, la Puissance de Dieu qui accorde
et retire, comme il l’entend, la vie …
Passons
maintenant, Majesté à la deuxième partie de la conférence et où je voudrais
aborder certaines questions que soulève le verset de départ. Je m’arrêterai
donc à trois questions :
Première
question : Elle concerne le fait de ressusciter les morts, donc la
résurrection.
C’est
là une question qui a de tout temps préoccupé l’esprit de l’Homme. Cependant,
le Coran a tranché le problème dans plusieurs de ces versets comme lorsque Dieu
dit : «Du mort, il fait surgir le vivant. Du vivant, il fait sortir le
mort». (Les byzantins XL – 19), ainsi que : «Vous ayant créé
de terre, Nous vous y ferons retourner, et d’elle Nous vous ferons sortir une
fois encore». (Taha XX – 55). Le Livre Saint allait apporter la
preuve de la résurrection et de la capacité de Dieu à faire renaître les morts
d’une manière qui se veut simple, le fait étant bien sûr évident comme
lorsqu’Il dit : «Qui donc fera revivre les ossements alors qu’ils sont
poussière ?». A cette question simple une réponse aussi
simple : «Réponds-leur : Celui-là les fera revivre qui les a
produits la première fois, celui qui détient la science de toute création».
En
dépit de cette évidence, la question est demeurée posée pour les hommes de
science, les penseurs et les philosophes. Le cadre de cette conférence n’est
pas pour qu’on s’étende sur ce problème, mais voyons néanmoins certains
exemples.
Ainsi,
Al Farabi, un philosophe musulman ayant subi l’influence d’Aristote, de Plotin
et des néoplatoniciens qui tous croient en l’importance de l’âme et en son
éternité, juge que seules les âmes ressuscitent sans le corps. Il a même été
plus loin en soutenant que Dieu ne ressuscitera que les bonnes âmes en dehors
des mauvaises âmes. Certes, pareilles affirmations ne pouvaient passer
inaperçues, c’est pourquoi certains penseurs musulmans comme Ibn Tofeïl et
Ghazali, dont l’attachement à la vision musulmane est évident, ont remis en
question ses conceptions. Ibn Rochd (Averroès) le grand philosophe de
l’Occident musulman, a tranché cette question en répondant à Al Farabi que
l’important était de croire d’abord en la résurrection et que son «Comment»
relève de l’effort intellectuel (Ijtihad) et de l’interprétation (ta’wil).
En
définitive, dans notre verset comportant un dialogue entre Dieu et Abraham, le
Coran a apporté la preuve matérielle de la résurrection en la transformant
d’une question abstraite et déductive à une question expérimentale utilisant
les sens et ce qui est palpable. Ceci donc est la première question.
Deuxième
question : Elle découle, Majesté, de la quête dans notre verset, de la
certitude. Ce Prophète a foi en Dieu, mais voudrant parvenir à la Vérité et à
la conviction qui le réconforte dans sa foi et qui n’admet ni doute ni trouble.
La Vérité chez les théologiens dogmatiques est unique et ne peut être
démantelée. Elle a besoin de sa preuve et de son argument. Cette preuve qui est
généralement rationnelle, divine ou abstraite ne peut s’établir que par
l’intuition. Dans notre verset, elle est sensible et palpable et réalise pour
Abraham ce que les logiciens nomment «La perception matérielle et avérée», d’où
résulte la validation de cette vérité.
La
vérification par la vision oculaire, comme c’est le cas pour Abraham, que le
Salut soit sur lui, dépasse de loin les autres formes de validation comme celle
qu’on opère par analogie et celle à laquelle on parvient par la preuve de la
raison. La première validation n’est dépassée en effet que par celle de la
vision extatique où on parvient à la vision du Vrai (Dieu Tout Puissant). Ainsi
Abraham, grâce à cette conviction, est parvenu à l’évidence rationnelle qui
elle, représente dans la méthode de DesCartes l’un des principes premiers qui
mène à la précision dans le raisonnement mathématique.
Troisième
question : Abraham ayant la foi, n’étant point gagné par le doute et ne
recherchant que la Vérité, il en découle la question de savoir si la foi
augmente et diminue. Cette question a été abordée par les théologiens, surtout
ceux qui s’intéressent à l’unicité de Dieu. Tant pour le Coran que pour la
Sunna (Pratique du Prophète), la foi peut augmenter et diminuer. Ainsi, nous
trouvons des versets tels que : «Les vrais croyants sont …, ceux dont
la foi redouble à l’audition du texte sacré». «C’est Lui qui emplit d’un
réconfort apaisant le cœur des croyants pour accroître en eux la foi». Au
Prophète (P.S), a qui on avait posé la question, celui-ci affirma :
«Certainement, la foi augmente et diminue».
Partant,
les spécialistes ont abordé la question à partir de quatre catégories de
créatures :
-
Celles dont la foi ne subit ni augmentation ni diminution : Ce
sont les Anges ;
-
Celles dont la foi augmente, mais ne diminue pas : Ce sont les
Prophètes ;
-
Celles dont la foi augmente et diminue : Ce sont les communs des
mortels ;
-
Celles dont la foi diminue et n’augmente pas et ce sont les Pérétiques.
Je
voudrais ici, Majesté, rappeler la position des Ach’arites parmi les gens de la
Sunna vis-à-vis de la foi. Ils
soutiennent qu’elle comporte un côté fondamental et un côté annexe. Le premier
concerne tout ce qui se rapporte aux croyances, alors que le deuxième se
rapporte au côté pratique et culturel. Pour eux, celui qui désavoue quelque question
des sciences des fondements (Usül) qu’elle soit fondamentale ou accessoire est
un mécréant, mais celui qui néglige un côté de ce qui est annexe est seulement
un pécheur qui désobéit, et qui, s’il se repent, Dieu lui pardonne ou le punit
par un séjour en Enfer, mais pas un séjour déterminé et non éternel. Les
Ach’arites ajoutent que le Prophète (P.S) peut intercéder en faveur de ces
pécheurs qui désobéissent. Les Ach’arites reconnaissent dont l’existence de
l’intercession, que Dieu nous l’accorde à nous tous et qu’elle efface les
péchés de ceux dont la foi a flanché à un moment de leur existence.
Les
conceptions ach’arites diffèrent de celles des «Murjites»(1) (Ceux
qui reportent le jugement à Dieu) pour qui même celui qui commet un péché
capital reste croyant et de celles de kharidjites pour qui ce dernier est un
mécréant. Les Mu’tazilites eux soutiennnet l’idée d’une position intermédiaire
(manzila bayna-l- manzilatayan). Pour ces derniers, celui qui commet un péché
capital a certes péché,
__________________________
(1) Attitude de certains Musulmans concernant
la position extrémiste des Kurjites concernant l’acte engageant la foi et qui
reporte cela à Dieu pour en juger.
mais n’est cependant par un mécréant.
Néanmoins s’attachant à la justice divine, pour eux ce pécheur, s’il ne se
repent pas, connaîtra un séjour éternel en Enfer, mais avec une souffrance
moindre que pour le mécréant.
Telles
sont, Majesté, les trois questions qui découlent du verset, objet de notre
étude. Passons à présent à la troisième partie pour développer notre thème
principal, le dialogue en l’occurrence.
Dans
notre verset, nous avons relevé un dialogue organisé, suivi et rapporté selon
un mode caractéristique entre Dieu le Tout Puissant et Abraham (P.S).
La
notion du dialogue et ses fondements en Islam soulève de nombreuses questions
que je tenterai de présenter rapidement ici.
Le
terme dialogue (Hiwar) est dérivé de (hawara) qui veut dire revenir. Nous
retrouvons ce sens dans le Coran comme lorsque Dieu dit de celui qui a mal
compris le véritable sens de la Révélation : «Il pensait ne devoir jamais
revenir (yahura) vers Dieu». (Le Ciel qui se fend XLIV – 16) ;
et nous trouvons également bien d’autres dérivés avec le sens de discuter comme
lorsque Dieu dit : «Le mieux nanti d’entre eux, s’entretenant
(yuhawiru) avec son compagnon …». (La Caverne XXIII – 36),
ainsi que : «Dieu a entendu les propos de celle qui discutait avec toi
au sujet de son époux, tandis que sa plainte s’élevait vers Dieu. Dieu
entendait votre dialogue, car Il entend tout, voit tout». (La Discussion
XXLVIII – 1).
Dans
ce contexte et dans bien des versets aussi nous trouvons des termes comme
(Jadal) qui veut dire discussion employé avec son antonyme : «Mira’» qui
consiste à disputer et à contester sans raison ce qui montre que dans le Coran
sont employés toute une manière lexicale et un champ sémantique et conceptuel
de la notion de dialogue. Nous trouvons en outre que le Coran conçoit un point
de départ pour le dialogue.
D’abord,
les deux antagonistes se trouvent dans une position d’égalité totale. Certes,
une partie peut avoir raison, alors que l’autre aurait tort, cela n’empêche pas
que Dieu enseigne à son noble Prophète le code du dialogue en lui disant :
«Ajoute : «Certes nous devons être les uns ou les autres ou dans la
bonne voie ou dans la pire aberration». (Saba XXXIV – 24).
Alors
même que le Prophète est sûr qu’il est dans le vrai, il doit respecter les
règles du dialogue qui déterminera par la suite qui des deux a tort.
Il
est une ancienne science spéciale chez les Arabes qu’ils nomment «La
controverse» (Munadara) où l’on préconise un mode de comportement qu’ils
nomment «Lâcher du lest» en d’autres termes, concéder certaines vérités au
protagoniste même s’il devait l’emporter dans la discussion. Le mode que
préconise le verset plus haut dans la discussion comporte, Majesté, un
arrangement des situations et une coordination entre les protagonistes. C’est
ce qu’on appelle en rhétorique «L’amassement et le déploiement» (Al-laf wa
Nachr). Dans la manière de mener le dialogue en Islam, il existe donc un point
de départ et un mode particulier. Le Coran, dans ce verset : «Appelle
au chemin de ton Seigneur avec la sagesse et la bonne exhortation, puis discute
avec eux sur un ton modéré». (Les Abeilles XVI– 125), nous apprend
de quelle manière converser avec les gens pour les amener à la conversion. Nous
y relevons ainsi trois étapes ou si l’on veut trois modes :
[Appelle
au chemin de ton Seigneur par la sagesse et la bonne exhortation] : «La
sagesse» est généralement un générique de tout ce qui est bien et profitable
pour les hommes, mais ici elle signifie plutôt la connaissance authentique et
la science précise dont on ne saurait de détourner et qui ne souffre ni
déformation ni travestissement. Celui donc qui dialogue avec autrui doit
s’appuyer d’abord sur une connaissance véritable. C’est d’ailleurs, pour cela
que le Prophète (P.S) reprenait souvent cet enseignement coranique : «Dis :
«Voici ma voie : Appeler à Dieu en toute clairvoyance». (Joseph XII
– 108), c’est-à-dire sans précipitation aucune et avec pondération, car il
détient la connaissance véritable et inébranlable.
«L’exhortation»
est un mot dont le sens ne peut nous échapper puisque nous l’utilisons souvent
dans les conseils que nous adressons aux autres.
Comme
Vous le savez, Majesté, l’exhortation, c’est la douce parole réconfortante qui
s’adresse directement au cœur.
Aussi,
le Coran, dans plusieurs de ses versets, parle-t-il de la douceur comme lorsque
Dieu le Tout Puissant donne l’ordre à Moïse et à son frère Aaron de se rendre
auprès de Pharaon en ces termes : «Allez trouver Pharaon : son
impiété s’accroît de jour en jour ! Parlez-lui sur un ton affable !».
(Taha XX -34). Malgré la tyrannie de Pharaon, Dieu conseille le recours
à la douceur, sans violence ni passion.
Pourquoi
une parole douce ? Quels en sont les effets ? Dieu nous
l’explique : «Peut-être en sera-t-il édifié ou sera-t-il porté à Me
craindre». En d’autres termes, l’exhortation est une étape nécessaire
surtout si elle est faite avec douceur, elle peut produire ses effets et
l’usage n’en est pas nécessairement vain.
Un
compagnon du Prophète (P.S), probablement Al’Arbad Ibn Siriya a dit : «Le
prophète nous exhortés de sorte que nos cœurs palpitèrent et nos yeux larmoyèrent».
Telle est la bonne exhortation !
Dans
notre verset, «Exhortation» est caractérisée par l’adjectif bonne pour insister
et pour nous indiquer la manière dont le dialogue doit se construire.
Après,
vient la troisième étape «Discute avec eux», c’est-à-dire les affronter en
usant d’argumentation, chacun des protagonistes présentera ses preuves et
défendra son point de vue. D’ailleurs, le Coran contient plusieurs versets où
il veut justement que ses détracteurs présentent leur arguments : «Produisez
vos preuves, si vous êtes dans le vrai». (Les Fourmis XXVII – 64).
Discuter
sur un ton modéré, pensent les exégètes, est une discussion dont le point de
départ est la vérité, car un homme, et cela arrive assez souvent, peut discuter
pour présenter des choses fausses ; mais tout aussi lorsqu’une
conversation se fonde sur la vérité, elle se déroule dans la modération. C’est
ainsi, Majesté, que le Coran nous enseigne les trois modes de dialogue.
-
Un premier mode, persuasif, utilise la connaissance certaine et renvoie
à la «sagesse» de notre verset ;
-
ensuite, un deuxième mode présenté par l’exhortation et qui a recours à
l’argumentation construite dans un discours qui agit sur la personne de manière
à bannir les motifs de l’injustice de son cœur ;
-
et enfin, le troisième mode apportant la preuve et utilisant la
controverse.
Il
demeure néanmoins, Majesté, un dernier point de ce dialogue que nous enseigne
l’Islam et qui consiste en le fait que Dieu le Tout Puissant recourt dans de
nombreux endroits de son Livre au dialogue. Nous nous contentons d’en présenter
ici trois instructions :
- Le dialogue des anges que nous connaissons
tous, lorsque Dieu décide d’établir Adam en tant que Son vicaire sur terre en
ces termes :
«Vint le jour où ton Seigneur dit aux Anges :
«J’ai résolu d’installer un lieutenant à Moi sur terre», «Y mettras-tu,
dirent-ils, un être qui y sème le désordre et répand injustement le sang, quand
nous sommes là à Te sanctifier et Te glorifier ?» «Il est des choses, dit
le Seigneur, que je suis le seul à savoir». (La Génisse II – 30)
Il
est en vérité de notre devoir à nous tous de méditer dans ce dialogue le fait
que Dieu, en dépit de Sa Puissance et de Son Omniscience, adopte dans sa
conversation «le lâchement du lest» en obtempérant à la requête des Anges et en
leur permettant de prendre la parole.
Le
dialogue continue ainsi :
«Alors Dieu instruisit Adam des noms de toutes
choses, puis faisant défiler des objets devant les Anges, il leur
demanda : «Nommez-les, si vos assertions sont véridiques !» «Béni
sois-Tu ! Firent les Anges. Nous ignorons toute science, hormis
l’enseignement reçu de Toi, car Tu es l’Omniscient, le Sage».
(La
Génisse II 31-32)
Dans
ces versets, Dieu apporte sa preuve et son argument irréfutables.
-
Dieu a aussi conversé avec les Prophètes comme dans le verset objet de notre
conférence où nous avons présenté le dialogue avec Abraham (P.S). Nous trouvons
également un dialogue avec Moïse dont la requête, grave et de toute première
importance, n’a pas été pour qu’Il le repousse ou l’écarte ou pour qu’il en
ressente la moindre offense :
«Moïse lui dit : «Montre-Toi à moi, que
je puisse Te voir !» Le Seigneur lui dit : «Tu ne Me verras pas.
Regarde plutôt vers le rocher, s’il demeure immobile en sa place, tu Me verras
alors». (Al A’raf VII – 143)
- Outre les Anges et les Prophètes, Dieu a
aussi dialogué avec Satan lorsque celui-ci refusa de se prosterner devant
Adam :
«Qu’as-tu donc à ne pas te prosterner ?
lui dit Dieu. Ne t’en ai-Je pas donné l’ordre ?» «En vérité, fit Satan, je
suis d’une essence plus noble que celle de l’homme, moi, que Tu as tiré d’un
feu subtil, quand lui n’est fait que d’un limon grossier !» «Descends
d’ici, dit le Seigneur. Tu es mal venu de t’enorgueillir en ces lieux … Satan
demande alors : «Que l’on m’accorde un délai jusqu’au jour où les morts
seront rappelés». (Al’Araf VII – 10-14)
Majesté,
Toutes
les questions que je me suis permis d’exposer ici, quoique sommairement vu le
temps qui m’est imparti, si nous les méditons, nous trouverons que le Coran a
établi les fondements du dialogue tout en nous en explicitant les divers modes
et les manières de le conduire quel que soit notre interlocuteur.
Vous
êtes vous-même, Majesté, un des instigateurs de ce dialogue auquel Vous ne
cessez d’appeler dans les divers domaines politiques et sociaux, religieux et
spirituels.
Plusieurs
Ulémas parmi vos sujets fidèles participent au dialogue ; qu’il soit
inter-islamique ou inter-religieux comme entre les doctrines religieuses ;
Christiano-islamique et même Judéo-islamique telle que la journée du dialogue
qui a été tenue l’année dernière et où ont participé entre autres, des Rabbins
Juifs.
A
vrai dire, appelez au dialogue en tant que moyen de rapprochement entre les
peuples et les religions appelés à se connaître mutuellement et à échanger
leurs cultures respectives. S’agissant de religions, c’est la foi en Dieu qui
peut unir leurs adeptes et constituer la base du dialogue qu’elles sont appelés
à établir.
Majesté,
Vous
ne cessez d’encourager à un tel dialogue
parce que Vous lui accordez toute Votre foi et y croyez en tant qu’unique moyen
mettant un terme à tout genre de conflit et effaçant toute différence et
opposition entre les protagonistes.
J’ai
exposé toutes ces réflexions alors que je me trouve tout intimidé, craignant de
ne pas avoir été à la hauteur de ma tâche et d’avoir commis quelque erreur ou
d’avoir succombé à quelque facilité, mais avec l’espoir, Majesté, que Vous ne
m’en gardiez aucune rigueur comme Vous avez coutume à me passer mes erreurs.
Vous
honorez Vos sujets les Ulémas par Votre respect et Vos encouragements, c’est
pourquoi, j’ose espérer que cette conférence ne s’est point écartée du bon
sens. Et je m’en tiens à cela.
Je
prie Dieu le Tout Puissant, pour conclure, de Vous garder pour Votre pays et
pour la communauté arabe et musulmane afin que Vous en demeuriez le protecteur
qui défend ses valeurs, sa personnalité et son identité. Qu’Il Vous accorde Ses
bienfaits apparents et cachés, Vous drape de bonne santé et rassemble autour de
Votre personne toute la nation.
Que
le Tout Puissant Vous assiste par l’œuvre des enfants de la patrie intègres et
fidèles et Vous préserve en les personnes de Votre Prince Héritier Sidi Mohamed
et son bienheureux cadet le Prince Moulay Rachid, ainsi qu’en tous les membres
de Votre noble Famille Royale. Amen ! Notre dernière prière
est : «Louange à Dieu, Maître des mondes». A l’Emir des Croyants de
conclure.
Allocution de l’Emir des Croyants faisant
l’éloge fanèbre de Feu Mr. Garssifi :
«Hier,
nous a quittés un homme que nous aimons et qui nous aime, le savant professeur
Monsieur Abdellah Chakir al Garssifi. Je le connaissais depuis longtemps.
Chaque fois que je l’ai rencontré et que j’ai appris à le connaître, j’avais
trouvé en lui, le croyant pieux et le citoyen parfait. Il était, que Dieu ait
son âme, au dessus de toute critique, toujours souriant et faisant partie de
ceux qui, plus qu’il n’inculquent le savoir, cherchent plutôt à
« l’inoculer ». Qu’il soit donc réjoui parce qu’il était savant et a
transmis le savoir. Il sera donc, par la grâce de Dieu, parmi ceux qui seront
auprès du Prophète (P.S), et de ses Compagnons, des martyres et des saints.
Que
Dieu accorde à ses proches patience et foi. Lisons donc la liminaire (Fatiha)
sur l’âme du défunt :
«Louange à
Dieu, Souverain Maître de l’Univers, le Clément, le Miséricordieux ; Toi
Seul adorons ; de Toi Seul implorons le secours ! Dirige-Nous dans le
droit chemin, Voie de ceux que Tu as reçu en Ta Grâce, non de ceux que Tu
réprouves, ni des égarés !»
Que
Dieu accorde ses meilleures prières au plus noble de Ses créatures, le Prophète
Mohammad, à Sa Famille et à Ses Compagnons, des prières aussi nombreuses que
Tes créatures et Tes paroles et autant de fois que les gens T’évoquent et
l’évoquent ou que les gens omettent de T’évoquer et de l’évoquer.
«Ô
Transcendance de ton Seigneur, Seigneur de la Toute Puissance, au-delà de ce
qu’ils fabulent. Salut sur les Envoyés, louange à Dieu, Maître des univers».